La corruption et les armes

Pierre Péan révèle plus loin que ces mécanismes de corruption sont particulièrement utilisés pour les grands marchés d’armes. Il explique : " Tous les grands marchés d’armes impliquent en effet un accord entre le cabinet du ministre de la Défense et celui de l’Economie et des Finances. Une fois l’accord réalisé —souvent après de très dures tractations au cours desquelles la rue de Rivoli tente de limiter au maximum le montant des pots-de-vin —, le grand argentier envoie une note à la Direction générale des Impôts et aux Douanes pour leur signifier, en termes technocratiques, de fermer les yeux sur les transferts de fonds en Suisse (ou ailleurs) effectués par la société qui vient d’emporter tel ou tel "contrat du siècle ".

Il donne enfin, le dernier élément important du puzzle : " (Certains) exportateurs (…) s’appuient sur la garantie de l’État pour leurs opérations hors de l’hexagone, garantie gérée par un organisme d’assurance-crédit appelé Coface, qui dépend du ministère de l’Économie et des Finances. Cette police d’assurance, qui couvre tous les risques, et d’abord celui du non-paiement, est accordée après passage devant une " Commission des garanties " constituée de hauts fonctionnaires. A l’alinéa 13 de la demande d’assurance-crédit, on peut lire: " commissions payables à l’étranger ".

C’est sous cette rubrique que se cachent les bakchich et pots-de-vin versés aux hauts responsables politiques et administratifs du Tiers monde. Le fonctionnaire qui instruit le dossier se permet quelques questions indiscrètes au corrupteur. A quelle époque ces sommes doivent-elles être payées? Ces frais représentent-ils la rémunération d’un service après-vente? Restent-ils exigibles en cas de non-paiement? Mais les noms des bénéficiaires ne sont pas demandés. Les indications sur les montants et les modalités de versement peuvent même, à la demande des intéressés, ne faire l’objet que d’une diffusion très restreinte, afin d’éviter que les nombreux banquiers qui voient passer ces polices d’assurance n’en fassent " mauvais usage ".Autrement dit, dans le cas d’un marché d’armes, nous apprenons que le client et les différents intermédiaires reçoivent un pot-de-vin mais que l’assurance crédit du Ministère des Finances, assure non seulement les contrats, mais également les bakchichs versés.

Pierre Péan précise plus loin : " Et, pour certaines opérations "sensibles ", l’alinéa 13 reste vide; la demande est alors accompagnée d’un dossier crypté enfermé, après passage devant la Commission, dans les coffres de la Coface. Ces affaires secrètes, qui font l’objet de versements importants, sont généralement très "politiques" et soutenues par l’Elysée et/ou Matignon. Le cabinet du ministre de l’Économie et des Finances en assure directement le suivi. Le feu vert de la Commission des garanties pour un dossier donné vaut ainsi également pour le pot-de-vin qui l’accompagne. L’État français "blanchit" de la sorte de l’argent noir destiné à des souverains ou à des présidents du Tiers-Monde. En fait, il tient le langage suivant aux exportateurs: si, pour une raison ou une autre, votre contrat venait à être rompu et que vous ayez versé des pots-de-vin à tel roi, tel président ou tel émir, moi, Etat français, je vous les rembourserai. "